Incident téléphonique

Les chemins de l'entreprise sont parfois incertains...

Ce matin je me suis rendue au travail comme d'habitude, je roule doucement vers la clinique comme je le fais depuis 9 années maintenant.
Je n'y vais pas de gaîté de coeur.
J'y vais "en reculant" comme on dit, peu pressée de retrouver les mines renfrognées, les bouches tombantes, les regards fuyants ou hostiles de Victorine et de Bella.
J'évolue dans le paysage presque sans regarder la route. Je me suis mise en pilotage automatique. Tant d'années de trajets quotidiens ont complètement éduqué ma voiture qui connaît le chemin par coeur.
Et bien que je roule lentement, la courageuse petite Wolkwagen m'a conduite, presque sans que je m'en rende compte, sur le parking de la clinique.

Voiture tortue conseillée pour emprunter les chemins de l'entreprise (bonne carapace et petite vitesse)

La veille, avant de partir, je m’étais aperçue qu’une déclaration sociale à remplir en ligne sur Internet, semblait avoir échappé à la vigilance extrême de la direction du personnel.
C’est n’est pas très grave, me direz vous, mais c’est quand même le genre d’oubli qui coûte en général 10% du montant à payer.
J’ai la faiblesse de penser que c’est un peu ballot ( j’aime bien ce mot…),  de dilapider l’argent de la sécu ou des subventions reçues, en payant des amendes alors que ces sommes pourraient être imputées plus utilement. ( c’est le coté fourmi de la comptable…)
Donc, dans cette déclaration, certains éléments ne pouvaient être renseignés que par des personnes ayant grande autorité sur la chose.
Je parle en l’occurrence du service du personnel mené avec diligence et compétence par la sémillante Mlle NITOUCHE, sous la férule de Mme PARACHUTE.
Donc, moi comptable dérangeante, je m’en vais tranquillement demander à Mlle NITOUCHE de bien vouloir remplir la première partie de la fameuse déclaration.

-"Dis-moi, Bella…"

Je la tutoie, mais il faut savoir que je la connais depuis longtemps Mam’selle NITOUCHE.
Il y a quelques années, nous avions travaillé ensemble dans un établissement de soin, mené d’une main de fer par un médecin, dont la notoriété dans le domaine de l’homéopathie n’avait d’égale que le sadisme avec lequel il dirigeait son établissement.
A ce moment là Bella était une charmante jeune fille, pleine de bonne volonté, qui avait à subir régulièrement les brimades de ses supérieurs, qui eux-mêmes subissaient les brimades de l’échelon supérieur qui eux-mêmes...
Je m’étais prise de sympathie pour cette compagne d’infortune, plus jeune et moins expérimentée que moi.
Cette sympathie s’était même transformée en amitié, puisque moi et mon mari avions été invité à son mariage et que nous nous étions fréquenté un temps.

C’est même moi, comptable inconsciente, qui avait proposé sa candidature à DEDIEU (PDG de l’institution, je le rappelle) pour un poste de secrétaire qui devait être créé.
Que ne me suis-je pas cassé la jambe ce jour là avant de me rendre à mon travail ? Pourquoi n’ai-je pas été atteinte d’une laryngite fatale à mes cordes vocales ?
Trop tard, pour une fois écoutée par DEDIEU approuvant ma proposition, mam’selle NITOUCHE venait de pénétrer dans l’institution, pour devenir un jour celle par qui le scandale devait arriver, scandale qui précipita ma perte comme chacun s’en doute maintenant.

« Seigneur protège moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge »

Je ne sais pas où j’ai lu cette exhortation, mais elle m’apparaît aujourd’hui pleine d’une cruelle évidence !
En effet, il ne fallut pas longtemps à Mlle NITOUCHE pour me tourner le dos, mais j’y reviendrais plus tard…

Nous en étions à : - " Dis-moi Bella…"

et de lui expliquer qu’il était souhaitable qu’elle remplisse la première partie de la déclaration sociale et que moi, par la suite, je pourrais renseigner les parties qui me concernaient etc…
Je m’attends à un «oui » du bout des lèvres, uniquement parce qu’elle ne peut pas faire autrement, je ne suis pas déçue.
En plus ce n’est pas le bon moment. (Mais y a t’il de bons moments pour faire une demande ?)
Mam’selle NITOUCHE fait la gueule depuis quelques jours, pour quoi ? Mystère.
Peut être qu’elle a des problèmes avec DEDIEU ou avec Mme PARACHUTE.
Peut être qu’elle a mal à l’âme, peut être qu’elle a mal au ventre, ou à son égo ce qui est plus probable.
Je n’ai pas de réponse. Il y a heureusement bien longtemps, que je ne suis plus informée des  raisons sans doutes très sérieuses qui motivent les changements d’humeurs intempestifs et inexpliqués de Bella, ses moues boudeuses ou furibondes, ses fou rires nerveux et réciproquement.

La Responsable du personnel, même si elle n’est pas officiellement nommée à ce poste, n’aime pas que je lui demande quoique se soit.
Dés lors qu’elle émane de moi, toute demande constitue une insupportable agression verbale.

Elle et Mme Véra  PARACHUTE ont cela en commun : Elles ne supportent pas le l’oeil jugé trop indiscret du service comptable, les questions jugées embarrassantes alors qu’elles sont seulement professionnelles.
On verra que, dans cette vénérable institution, elles ne sont pas les seules à faire un parallèle entre TORQUEMADA l’inquisiteur, et Mme DERANGE, comptable.
Comptable coupable de trop vouloir connaître les moindres dépenses et les moindres conséquences de décisions prisent trop souvent à la hâte. « A l’arrache » dirait ma fille.

En milieu d’après midi, alors que je suis dans mon bureau, mon téléphone sonne. C’est Mlle NITOUCHE :

-" Allo ! ouiiii C’est Bella. Tout compte fait pour la déclaration c’est pas à moi de le faire, il faut demander à Victorine."

-" Ah bon ! Tu ne peux pas le faire ? C’est pourtant ta partie, je ne vois pas pourquoi tu as besoin de Victorine pour ça !
-" Non c’est pas à moi de le faire", dit-elle avec un ton pincé.
-"Mais c’est toi ou pas la responsable du personnel ?"

En disant cela je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est bien beau d’être cadre, d’avoir un titre, mais qu’il faudrait aussi prendre un peu ses responsabilités et quelques initiatives simples (pas compliquées).
Elle a du lire dans mes pensées et commence à glapir :

- "Arrête de faire le petit chef, arrête de faire le petit chef…"

Je lui dis le plus calmement possible :

- "C’est important, si on oublie ça va nous coûter. Je ne comprends pas que tu le prennes ainsi."

Pendant que je lui dis cela, elle ne cesse de répéter comme un disque rayé :

-"Arrête de faire le petit chef, arrête de faire le petit chef…"

La moutarde commence vraiment à me monter au nez, mais je continue le plus calmement possible à essayer de la raisonner.
-"Tu me fais chi.. » fini t’elle par aboyer et sans attendre elle me raccroche le téléphone au nez.

Là, lecteur que j’espère attentif, je fais une pause pour bien insister sur ce fait précis : C’est bien Bella NITOUCHE qui me dit « Tu me fais chi.. » Ceci je l'affirme bien haut et bien fort, que le ciel m’en soit témoin.

C'est important car c’est à moi que l’on viendra reprocher d’avoir pris l’initiative des attaques verbales...